Etape 108 - Lac
Inle - Un sublime coucher du soleil
Jeudi 30 janvier 2020.
Nous quittons un moment ces fabuleux pêcheurs pour
nous aventurer au milieu du lac Inle. J'aimerais me rapprocher de
ce temple planté en plein milieu, mais ma rameuse refuse
obstinément. Je suis égoïste, je ne
me rends pas compte de la peine déjà qu'elle a à
m'emmener jusqu'ici, juste à la force de ses jambes.

Peu m'importe, je profite de cet
incroyable coucher de soleil que j'immortalise quasiment au ras
de l'eau faute de disposer d'une chaise à l'intérieur
de la barque.

Un pêcheur passe au loin. Je
distingue sa jambe gauche suspendue au-dessus des flots. Celui-ci
ne pêche pas les billets des touristes, mais de véritables
poissons qu'il ramènera sans doute ce soir à sa famille.

Sous mes yeux, les eaux du lac prennent
une teinte cuivrée. De rares bans de terre herbeuse
jalonnent la surface du lac. Et dans le ciel, la
dispersion des nuages craquèle la couche rosacée du
crépuscule.

Ici et là apparaissent des lézardes
orangées, tapissées et repeintes des derniers
rayons du soleil qui peine à se frayer un passage parmi la
couche épaisse des nuages.

Nous nous rapprochons encore. Des morceaux
de terre flottent sur les eaux comme par miracle, tandis que la
surface du lac Inle prend des allures d'une immense nappe de cuivre.

Contre les flancs de pirogue,
le clapotis de l'eau vient cogner la coque et nos visages se couvrent
d'une délicate onde ensoleillée qui fait de nous un
instant des hommes et des femmes de cire.

Il fait bon d'être ici. Ces
vastes étendues calmes et liquides m'apaisent, m'éloignent
un instant des doutes que j'ai en permanence sur ce monde.
Ce paysage ressemble à ce qu'il pourrait être sans
la présence de l'homme : magique et mystérieux,
insondable, beau dans le dénuement de toute la connaissance.

Je change d'optique et visse sur mon
Nikon mon 300 mm pour exacerber les couleurs de ce soleil
couchant. Au-dessus de l'horizon, le soleil décadant
forme une boule ronde et jaune parfaite. Des nuages
bas cisaillent sa silhouette puis tout en glissant au-dessus de
l'air humide, s'en vont rejoindre le gros de la nappe en suspension.
Dans
mon viseur, le temple isolé au milieu du lac apparaît
plus nettement. Derrière lui, les silhouettes
affirmées des montagnes découpent l'horizon rougeoyant.

Une autre pirogue passe soulevant
derrière elle des gerbes d'eau propulsées
par le moteur lancé à vive allure. Sa silhouette
effilée coupe un instant le liseré doré que
dépose sur le lac le soleil couchant.

Puis la pirogue s'éloigne à
toute vitesse, pétaradant au-dessus du clapotis de
l'eau qui étouffe à moitié son passage.

Et puis une autre encore. L'heure
tardive et la nuit qui s'annonce pousse les derniers retardataires
à lancer leur pirogue à vive allure sur le lac.
Pour aller où ? Je n'en sais rien. Je suppose loin
de là, vers la ville sans doute qui débouche à
la sortie du canal qui alimente le lac.

Enfin le calme revient sur le lac.
Au loin, la silhouette d'un pêcheur Intha se découpe
dans l'horizon orangé. Au-dessus de lui, le soleil
poursuit lentement sa course vers le vide. Il fait un peu frais
maintenant. A mesure que la nuit s'avance, le lac, la puissance
de ses éléments, reprennent peu à peu leur
place dans l'ordre du monde.

A quoi tient le bonheur ? L'homme,
là-bas suspendu dans le vide à la poupe de sa pirogue,
sait-il combien il est en harmonie avec la nature, connaît-il
seulement son bonheur d'être encore un de ces privilégiés
encore attaché à la beauté du monde ?

Je l'observe un moment, attache
mon regard à cette jambe suspendue au-dessus des flots, et
j'en viens à l'envier, à être cette chose qui
dans l'éclat doré du soleil couchant devient tout
à coup indispensable à l'équilibre du monde.

Devant nous, les toits recourbés
des pagodes du temple se dressent dans la nappe brumeuse suspendue
au-dessus de la surface du lac.
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Quel est ce
fou qui a pensé construire ici un temple monté
sur des jambes de bambous ? Quelle folie s'empare
parfois des hommes pour rendre hommage à leur dieu
et au lien qui unit chaque être humain à cette
nature qui le dépasse ? Les années
passent et la réponse m'échappe chaque jour
un peu plus. Quel délicieux moment parfois que d'ignorer
l'essence du monde... |
Nous
nous éloignons. Une autre pirogue passe encore. A
l'avant, je distingue la silhouette de quelques touristes. Après
une journée entière à avoir exploré
les rives du lac, ils s'en vont rejoindre le port.


Dans l'éclat du couchant, je
ne me lasse pas de ce spectacle. Les couleurs du crépuscule
sont éblouissantes et repeignent maintenant la surface du
lac d'une extraordinaire teinte cuivrée.






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