Etape 103 - Maing
Thauk village - Au milieu des rues sur l'eau
Jeudi 30 janvier 2020.
A travers les eaux limpides du lac Inle, notre embarcation
glisse mollement entre les habitations montées sur pilotis.
C'est un moment hors du temps, une bulle factice dans laquelle
notre barque, de sa proue triangulaire à sa poupe prolongée
par la douce silhouette de la jeune fille qui rame pour moi, évolue
libérée des affres d'un monde auquel nous sommes étrangers.

Et cette glissage infinie, immuable,
d'une douceur infinie nous conduit ici et là à
fendre le reflet de ces maisons juchées sur des poteaux de
bois enfoncés profondément dans la vase du lac Inle.
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De notre passage,
les eaux du lac gardent seulement la courbure éphémère
d'une onde qui se propage tout aussi lentement pour venir
mourir au pied des pieux enfoncés solidement dans le
lac. |
Rien
ne vient nous déranger. Ici, la vie semble d'une douceur
extrême, alors que je le sais, elle est dure, faite
d'un labeur harassant, d'une lutte incessante entre la puissance
des eaux du lac et la ténacité des maraîchers
qui cultivent là tous les fruits d'une lutte acharnée
contre les éléments.

Une barque passe. Où
s'en va-t-il cet homme dont les yeux plissent légèrement
pour affronter la lumière rasante du coucher du soleil ?
Vers quelque parcelle de terre suspendue on ne sait par
quel miracle au-dessus des eaux boueuses du lac.

Et tandis que son moteur pétarade,
puis disparaît mollement dans l'infini du lac, comme toute
chose ici, qui invariablement, immuablement, sort un jour des eaux
du lac pour y retourner et disparaître, notre frêle
esquif s'enfonce encore entre les habitations du village.

Et comme elles semblent hautes
toutes ces maisons, comme elles paraissent être comme des
géants de bois et de tôle ondulée qui affrontent
année après année les éléments,
qui, la saison venue, quand la mousson transforme les eaux paisibles
du lac en un torrent déchaîné, tremblent de
tout leur corps sur leurs pieux de misère, s'accrochent de
tout leur poids à une vie insensée, supendue au-dessus
d'une force qui donne et reprend la vie aveuglément.

Puis quand les eaux se retirent, quand
le ciel s'éclaircit en fin, que la douceur reprend le pas
sur la fureur de la moisson, inlassablement les ouvriers
agricoles retournent aux champs suspendus, plantent des pieux, recompactent
la terre, tassent, et enfin sèment. La vie immuable du lac
Inle et de ses habitants.

Avec le couchant, c'est un
flamboiement de couleur brune qui repeint l'horizon, patine ces
vieilles carcasses rafistolées chaque année après
le passage de la mousson.

Et derrière nous, déjà
plongées dans une ambiance crépusculaire, les
maisons de maraîchers se dressent au milieu des cultures,
solidement ancrées dans la vase du lac, et plantées
tel des moulins dans la campagne birmane.


Une rue plus loin, l'alignement
parfait des maisons sur l'horizon nous joue des tours, reflets si
parfaits des silhouettes de bois qu'on ne sait de quel monde elles
surgissent, de l'envers ou de l'endroit ?

Un maraîcher passe remettant
soudain le monde dans un endroit de circonstance. Ses yeux
légèrement bridés fixent mon objectif. Je l'observe
un instant et envie sa façon de se tenir debout.

Je rêverais moi aussi de me
tenir debout à l'extrémité de ma barque, de
tendre mon pied en avant et de crocheter la rame pour la ramener
aussitôt vers l'arrière et propulser ainsi ma barque
entre les rues inondées du village.






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