Etape
39 - Cité de Mystra - La chute de de Byzance et la conquête
turque
Mercredi 7 juillet 2021. En remontant
vers l'entrée haute du site et sur le chemin de la dernière
visite d'importance de Mystra, le monastère de Pantanassa,
j'évoque ici les derniers moments de Mystra après
la chute de l'empire romain d'Orient.

Le 29 mai 1460, sept ans jour
pour jour après la chute de Constantinople, les habitants
de Mistra peuvent voir l'armée turque descendre les pentes
du Parnon et se diriger vers la ville. Elle s'installe
sous ses remparts le 30 mai. Le sultan envoie son secrétaire
grec, Thomas Katavolenos, persuader Démétrios de se
rendre sans résistance et d'abandonner son projet de fuir
vers Monemvasia.

Le 31 mai, le sultan en personne arrive
à Mistra et invite le despote à sa tente. Il lui offre
un apanage en Thrace en échange de la perte de la Morée,
de sa fille et de sa femme, qu'il doit livrer aux eunuques du sultan.
Alors qu'en 1461, les Turcs finissent de conquérir
le Péloponnèse, un gouverneur turc est installé
dans le palais des despotes.

Privée des despotes, de leur
cour et des intellectuels qui la composaient, Mistra devient
une simple capitale provinciale au sein de l'immense empire ottoman.
La ville dépend du sandjak du Péloponnèse,
dont elle est la capitale. Elle est même, jusqu'en 1540, la
résidence favorite des pachas.

À partir de 1540, et avec la
prise de Nauplie, Mistra perd son statut de capitale, mais
elle retrouve ce statut en 1574, après la capture des derniers
bastions vénitiens en Grèce, moment où l'on
divise le Péloponnèse en deux sandjaks, l'un basé
à Patras, l'autre à Mistra.

Les Turcs semblent s'être
installés dans la partie haute de la ville, le pacha vivant
dans l'ancien palais des despotes. Sainte-Sophie,
l'ancienne église du palais, est transformée en mosquée.
La citadelle, au sommet de la colline, sert au logement d'une puissante
garnison et du commandement militaire. Il est possible qu'on y trouve
également une mosquée.

Les Grecs occupent la ville basse.
Les faubourgs, situés à l'extérieur
(Exokorion en grec, Moratche en turc) de la ville, sont principalement
habités de marchands étrangers. D'ailleurs, la petite
communauté juive qui vivait là sous les despotes s'accroît
largement pendant la période ottomane. Mistra reste le centre
économique de la soie dans la vallée de Sparte, un
commerce mis en place sous les Paléologue et encouragé
par les Turcs.

Contrairement aux autres régions
du Péloponnèse ou de Grèce centrale,
le sultan ne semble pas avoir distribué de terres à
ses soldats autour de Mistra. Une telle pratique ne semble pas avoir
eu cours aux alentours de Mistra, ce que confirment les voyageurs
qui passent, des siècles plus tard, dans la région,
en écrivant que la vallée de Sparte n'est peuplée
que de Grecs.

Il est admis qu'au moins jusqu'au xvie
siècle, le joug turc n'est pas trop dur envers les Grecs.
Cependant, la principale cause de ressentiment des Grecs
est la « razzia des enfants » . Chaque famille chrétienne
doit offrir un fils sur cinq pour être enrôlé
comme musulman dans le corps des janissaires, unité d’élite
de l’armée ottomane.

Tous les quatre ans environ, ces enfants,
âgés de 8 à 20 ans, sont ramassés
dans les villages et sont imprégnés de culture turque
dans des écoles spéciales afin de devenir janissaires.
Bien que les familles doivent souvent se résigner dans la
douleur à laisser partir leurs enfants, cet impôt
du sang rencontre assez peu d’opposition, en raison de la
répression féroce dont il s'accompagne : toute personne
qui y fait obstacle est pendue sur-le-champ.

La période ottomane est une
période de paix, comparée aux siècles précédents,
marqués par des guerres incessantes. Il y a bien
des affrontements entre Turcs et Vénitiens entre 1463 et
1479, puis de 1499 à 1503 et enfin de 1537 à 1540,
mais ces guerres se passent la plupart du temps en mer.

Seul Sigismond Malatesta, prince
de Rimini, perturbe cette relative tranquillité en faisant
le siège de Mistra en 1464. Il prend la ville, mais ne peut
s'emparer du château. Contraint de lever le siège,
il met le feu à la ville.

Ces deux siècles de paix correspondent
à deux siècles de prospérité pour la
ville. Sa position géographique, à l'intérieur
des terres, la préserve des conflits avec les Vénitiens,
mais aussi de la menace pirate qui croît vers la fin du XVIe
siècle. Les producteurs de soie fleurissent dans la vallée,
les marchands étrangers viennent y vendre leurs produits
et la présence périodique du pacha et de sa cour stimule
l'activité des bazars.

Une guerre entre Vénitiens et
Turcs éclate en 1684. Le dernier conflit en date,
commencé en 1645 et achevé en 1669, avait entériné
la perte de la Crète par les Vénitiens. Francesco
Morosini avait essayé de soulever les Maniotes dans le Péloponnèse,
mais Mistra et ses environs ne semblent alors pas avoir été
touchés.

En 1683, les Turcs subissent un revers
devant Vienne et les Vénitiens pensent que le moment est
propice pour réparer l'affront subi en Crète.
Une armée composée de mercenaires allemands est placée
sous les ordres de Francesco Morosini. Entre 1685 et 1686, elle
capture d'importantes forteresses sur la côte, dont la capitale
de la province, Nauplie, en 1686.

Puis, elle conquiert l'intérieur
de la péninsule et Mistra est l'une des dernières
cités à tomber au cours de l'été 1687.
6 000 hommes l'assiègent sous les ordres du comte
de Koenisgmark66. Dans un premier temps, les habitants du Péloponnèse
accueillent avec bienveillance leurs nouveaux maîtres.

L'administration turque est devenue
arbitraire et corrompue, et est moins bien contrôlée
par Constantinople. Les Vénitiens jouissent, quant
à eux, d'une bonne réputation concernant la tolérance
religieuse. Les Grecs de Mistra ont pour exemple la colonie grecque
de Venise, qui est prospère et possède sa propre Église
orthodoxe, et de nombreux jeunes Grecs étudient à
l'Université de Padoue.

L'aura des Vénitiens se ternit
dès 1687. Lors de la reddition de Mistra, les femmes
et les hommes âgés sont laissés libres, alors
que les hommes de 17 à 50 ans sont réduits en esclavage
ou envoyés aux galères.

Vient s'ajouter à cela une
épidémie de peste qui touche l'ensemble du Péloponnèse.
Les Grecs jugent les Vénitiens responsables de cette
épidémie qui apparaît peu de temps après
les campagnes de Morosini en 1687. Les autorités
vénitiennes, qui avancent le chiffre de 200 000 habitants
dans le Péloponnèse avant les campagnes, estiment
à moins de 100 000 habitants la population à la fin
de 1688. Des 2.111 villages recensés, 656 sont désertés.

En janvier 1688, un conseil de guerre
basé à Nauplie, décide de punir les
habitants de Mistra pour ne pas s'être rendus assez tôt,
car si la ville est rapidement prise, la citadelle a résisté
un certain temps. Ainsi, l'ancien pacha et plus de 2 000 habitants
de Mistra sont faits prisonniers et réduits en esclavage.

Sous l'autorité des Turcs, les
villes grecques pouvaient, dans une certaine mesure, s'autogouverner.
Désormais, le provéditeur vénitien a la
maîtrise complète des municipalités dont il
a la charge. Monemvasia est devenue la capitale de la Laconie et
six autres villes reçoivent un provéditeur, dont Mistra,
qui n'a pas seulement la charge de superviser une province, mais
aussi celle d'interférer dans les affaires des citoyens.

Mistra reste une ville importante de
la province, ne serait-ce que par sa population, que l'on
estime à environ 40 000 habitants ou 42 000 habitants au
début de la conquête vénitienne. Les taxes vénitiennes,
collectées de façon efficace, sont plus élevées
que celles prélevées par les Turcs jusque-là.

Les nouveaux maîtres du Péloponnèse
encouragent le développement de l'agriculture et
des industries locales. En revanche, ils découragent les
industries qui peuvent concurrencer les productions italiennes.
Cette volonté touche particulièrement la région
de Mistra, dont la prospérité était en grande
partie due à l'industrie de la soie. De lourdes taxes s'abattent
sur la soie locale afin de protéger les intérêts
des producteurs de Vénétie, faisant monter les prix
à tel point que les marchands étrangers quittent la
région pour trouver une soie meilleur marché en Asie
mineure.

Enfin, Grecs et Vénitiens
s'opposent sur la question religieuse, bien que les Vénitiens
souhaitent, dans un premier temps, montrer leur bonne volonté
vis-à-vis de leurs nouveaux sujets. Ils leur laissent
le droit d'élire leurs propres évêques et un
unique évêché catholique est instauré,
l'évêché de Corinthe, dont le titulaire siège
à Nauplie. Mais l'Église orthodoxe du Péloponnèse
est sous l'autorité du patriarcat de Constantinople. Or,
le patriarche jure loyauté au sultan au nom des chrétiens
placés sous son autorité. Les Vénitiens retirent
donc au patriarche le droit de nommer ses évêques dans
la péninsule et surtout le droit de récolter les dons
des fidèles, afin d'empêcher le financement de l'armée
ennemie.



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