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Bolivie - Du Bogota à Torotoro - Juin-Juillet 2019

Etape 93 - Potosi - Dans les entrailles de la mine d'argent

Jeudi 27 juin 2019. Après avoir pénétré dans la mine par le bais d'une échelle, nous nous enfonçons dans les boyaux. Et je vais très rapidement découvrir ce que veut dire l'enfer de la mine, la difficiculté à respirer, la poussière, les odeurs acres des produits chimiques utilisés pour extraire les minerais, la claustrophobie, la gorge qui pique et les yeux qui pleurent. Je ne vois rien. La buée de ma transpiration se plaque contre les verres de mes lunettes. Je peine à avancer, je suffoque.

On passe par des boyaux si étroits qu'on doit parfois avancer en rampant. C'est dur. Vraiment très dur. Je suis monté jusqu'au pied de l'Everest, mais c'est une partie de plaisir comparé à l'enfer de la mine. Nous croisons des ouvriers et nous leur donnons nos sacs remplis de feuilles de coca.

Dans une pièce sombre, notre guide nous arrête devant la représentation de la Pacha Mama à qui on fait fumer la coca et boire de l'alcool à 90 degrès. Tout n'est que pure folie dans cet enfer qui ne dit pas son nom. Et je mesure très vite l'horreur qu'ont subi pendant des siècles les esclaves asservis et les indigènes qui mouraient là par milliers. On estime leur nombre à plus de huit millions.

Un véritable camp de la mort avant l'heure. Parfois, l'espérance de vie ne dépassait pas quinze jours, trois semaines. On laissait alors les corps des suppliciés dans le fond de la mine. Leur chair se décomposait et ajoutait encore à l'horreur des lieux, les maladies pullulaient, les infections, la mort dans chaque boyade la mine du Cerro Rico. C'est cet enfer que je ressens par tous les pores de ma peau.

Je suis au bord de la crise de nerfs. Je veux rentrer. Revoir le soleil et quitter ce lieu à jamais pour ne jamais plus avoir à y rentrer. "Nunca mas, nunca mas", je répète inlassablement à Diana qui, comme moi, suffoque et se demande ce que nous faisons au fond de ce lieu terrifiant.

Les ouvriers que nous croisons ont une vie à peine meilleure que ce celles de leurs aînés. Espérance de vie à 35 ans, pas plus. On meurt encore de la montagne d'argent. Quand l'esclavage a cessé, les Basques espagnols qui tenaient la mine vendaient la coca aux indigènes qui, devenus accrocs, n'avaient d'autres choix que de descendre et de descendre encore pour aller chercher le prix de leur dépendance. Une horreur totale. L'asservissement le plus terrible qui soit.

On s'arrête encore au fond d'une grotte creusée par les indigènes. Pacha Mama nous toise de ses yeux vitreux. Notre guide coupe la lumière. Le noir total. Le noir comme il n'existe nulle part ailleurs sur la terre. L'angoisse. Je veux sortir de cet enfer, mais je ne peux rien faire contre. Je suis prisonnier de cet enfer. Et soudain, deux bruits sourds. Deux explosions qui secouent toute la montagne. Deux bruits sourds qui rappellent que l'extraction du minerai continue sous cette montagne de l'enfer. Je veux sortir de là et ne jamais revenir.

Inimaginable ce génocide de plus de huit millions d'indiens aymaras, quechuas, ainsi que ces esclaves venus d'Afrique par le commerce triangulaire. Je maudis ma ville de Bordeaux où je suis née qui a fait sa fortune de ce commerce !

Nous sortons enfin. Je ne sais pas par quel miracle, mais nous sommes ressortis. Tout autour de moi, sur nos visages d'Européens naïfs, je peux lire encore l'horreur et le soulagement d'être sorti de cet enfer. Je veux témoigner, dire tout ce qui s'est passé ici, les colons qui imposaient la mita, le travail forcé par alternance dans les mines, les conditions épouvantables.

Chaque année, plusieurs dizaines de milliers d'ouvriers mouraient d'épuisement ou empoisonnés par les vapeurs de mercure qu servaient au traitement de l'argent. Sans compter les maladies propagées par les Espagnols eux-mêmes. Comme nourriture, les indiens n'avaient que les feuilles de coca à mâcher... que leur vendaient bien sûr les colons espagnols.

L'exploitation du travailleur indien était poussée à son paroxysme. Car, si les conquistadors - et les religieux qui les accompagnaient - diabolisèrent d'abord la coca, ils reconnurent vite ses vertus énergétiques et rendirent donc sa consommation obligatoire, contrôlant au passage son commerce.

Et il fallait en mastiquer des feuilles de coca pour pouvoir endurer 48 heures de travail forcé au fond de cet enfer. Ainsi les esclaves achetaient à leurs maîtres la drogue leur permettant de supporter l'esclavage. Rien n'a changé depuis. Les réseaux d'esclavage humain de notre temps, la prostitution à grande échelle, utilisent les mêmes recettes... Terrifiant que ce monde.

Cependant, dès le début du XIXe siècle, les filons d'argent commencèrent à s'épuiser. Et comme on en découvrit aussi ailleurs, au Pérou et au Mexique notamment, Potosi tomba rapidement en désuétude, au point de ne plus compter, en 1825, que 9.000 habitants !

La découverte et l'exploitation de l'étain (le "métal du diable") ont relancé quelque peu l'économie de la ville, avant qu'elle ne retombe de nouveau ces dernières années, l'exploitation des gisements ne se révélant plus assez rentable.

Aujourd'hui encore pourtant, on trime - et l'on meurt - toujours dans les mines de Potosi. Et sincèrement, je regrette d'avoir joué les guignols en participant à cette visite. Vivre Germinal en direct, ce n'est vraiment pas ma tasse de thé. Jamais plus je ne participerai à une telle supercherie.

D'autant que les mineurs qui sont la principale attraction de cette mine n'y gagnent pas grand chose, si ce n'est rien, mis à part nos feuilles de coca.

Bien que troué de toute part, la mine du Cerro Rico plonge sur 17 niveaux, soit 450 mètres de profondeur. Un mineur gagne en moyenne entre 1.200 et 1.500 Bs par mois, quand le salair minimum est de 800 Bs, qu'un prof, un employé de banque, ne touche pas plus de 1.500 Bs...

Le pourcentage de son gain que le mineur reverse à la coopérative (30% tout de même!) lui assure uniquement son emplacement (le droit d'exploiter son filon). Il est responsable de sa production. Il travaille quand il le veut, et parfois 24 heures d'affilée.

Mais son revenu dépend aussi de la qualité de son filon, des minerais qui s'y trouvent (au mieux de l'argent ou de l'étain, au pire du zinc) et de la dureté de la roche. De ce salaire, il doit encore soustraire l'achat de son matériel (vêtements, bottes, casques, lampe, outils, etc.) et de la dynamite utilisée pour faire sauter les veines de minerai. Enfin, et pour dissuader quiconque de retourner dans le fond de cette mine, il ne faut pas oublier que les ouvriers y meurent encore, le plus souvent de sillicose, cette maladie pulmonaire contractée dans les galeries chargées en poussières nocives... Ces mêmes poussières que j'ai pu respirer dans le fond de cet enfer... Nunca mas.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 

 
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