Etape
67 - Musée du Louvre - Les collections d'Europe du Nord (suite
VIII)
Jeudi 14 mars 2019. Je poursuis
encore ma visite des collections d'Europe du Nord par cette magnifique
Vierge à l'enfant entre Saint Jacques et Saint Dominique,
exétécutée par Hans Memling, autour
de 1488-1490.

Le thème de ce tableau est celui
de la sacra converzione, très à la
mode en Italie du Nord. Le format adopté ici est plutôt
rare dans les pays du Nord. Le tableau ornait certainement
une chapelle familiale. Sa fonction est commémorative, et
il diffère du retable à volets plus usuel dans les
Pays-Bas. Le commanditaire en est Jacques Florence (en flamand Jacob
Floreins), marchand d'épices à Bruges, qui meurt en
1488 dans cette même ville. Il a très probablement
été achevé après la mort de ce dernier,
puisque sa femme est représentée en veuve.
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Au centre,
la Vierge Marie est assise sur un trône de pierre surmonté
d’un dais rouge. Le montant du siège
est couvert d’un tissu doré très richement
brodé. Au pied du trône est peint un
superbe tapis aux couleurs vives qui rappelle les tapis orientaux,
très présents chez les primitifs flamands.
La Vierge Marie, les cheveux dénoués,
porte sur ses genoux l’Enfant Jésus, qui bénit
Jacques Florence de la main droite. Sa main gauche est posée
sur le livre que tient sa mère. La Vierge
est entourée à gauche par le commanditaire (ou
donateur) et ses fils et à droite par la femme de ce
dernier et ses filles. Tous sont agenouillés. |
La ressemblance
entre les enfants et leurs parents est très marquée.
Les différences d’âge se traduisent par des différences
d’attitude. À la solennité des plus âgés
s’oppose la curiosité des plus petits (les petites
filles tendent le cou pour mieux voir). Deux saints protecteurs
de la famille les accompagnent. Saint Jacques du côté
masculin, en référence au prénom du père
et saint Dominique du côté féminin, probablement
parce que l’une des filles a intégré l’ordre
(elle porte le costume dominicain).

Le fond est partagé en trois
parties. La scène est située dans un décor
ecclésial, comme c’est parfois le cas chez Jan van
Eyck, à cette différence près que cet intérieur
est ici ouvert sur l’extérieur (ce qui est fréquent
chez les artistes flamands). À gauche, on aperçoit
au bout d’un chemin un paysage urbain, qui s’oppose
au paysage plus rural représenté à droite.
Ces ouvertures, bordées de charmantes sculptures, aèrent
la composition.

Tout aussi exceptionnel, voici la
Déploration du Christ, provenant des ateliers de Dirck Bouts
l'ancien, datée de 1445 à 1466. Peut-être
le centre d'un triptyque aux volets perdus. Tableau
fortement marqué par Weyden auquel il fut d'abord
attribué et à dater vers 1455/1460. Plantes
à valeur symbolique au premier plan.
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D’origine
haarlemoise, Bouts est mentionné à partir
de 1457 à Louvain où il mène une vie
de bourgeois aisé. C’est d’ailleurs
pour l’église Saint-Pierre de cette ville qu’il
réalise en 1468 La Cène, l’une
de ses œuvres les plus importantes. Sa formation
et une grande partie de sa vie demeurent mal connues,
mais grâce à l’analyse de ses peintures,
on a pu le placer dans la suite de Van Eyck. |
Ses
compositions sont marquées - comme La Cène
de Louvain - par une forte tension dramatique, et une de ses spécificités
est de placer les scènes dans des intérieurs contemporains,
permettant ainsi aux dévots de s’y insérrer.
On retrouve ce procédé chez Rogier Van der Weyden.
Il emprunte aussi à ce dernier certains schémas
de composition et un goût pour l’allongement des figures.

Le panneau du Louvre est une
œuvre de dévotion liée à une commande
privée. Il constituait probablement le centre d’un
triptyque, dont les volets - où étaient peut-être
présentés les portraits des donateurs et de leurs
saints patrons - sont perdus. La représentation,
d’un grand effet dramatique, montre le Christ déposé
de la Croix dans les bras de la Vierge. Ce groupe, placé
au centre de la composition, est entouré de saint Jean et
de sainte Marie-Madeleine, placés légérement
en retrait. La Croix domine les figures, et un vaste paysage, scandé
par des collines et une ville, unifie la composition.

Toujours de Hans Memling, voici
le Triptyque du Repos pendant le fuite en Egypte, peint
autour de 1475-1480. Ce petit triptyque d'un extrême raffinement1
qui représente cinq saints debout n'a été reconstitué
que dans les années 1970. Les quatre saint et la
Vierge se tiennent sur une parterre semé de fleurs. Derrière
les quatre saints, dans un paysage vallonné, entre des bâtiments
imaginaires et sous des portiques, se jouent de minuscules petites
scènes de leur légende. Cette narration ininterrompue
dans l'espace est bien dans la manière de Memling
(voir par exemple le Retable des deux saints Jean). Ce type
de narration est développé notamment dans les Panoramas
de Turin Scènes de la Passion du Christ, Munich (Les Sept
joies de la Vierge) et Lübeck (Triptyque Greverade).

Derrière Jean-Baptiste, on aperçoit
le Festin d'Hérode, la Décollation de saint-Jean
Baptiste, le Ecce Agnus Dei et le Baptême du Christ. Derrière
Marie-Madeleine, on voit le Repas chez Simon, la Résurrection
de Lazare, le Noli me tangere ainsi qu'une image rare de l’Assomption
de Marie-Madeleine lors de sa vie érémitique en Provence.
Marie-Madeleine, élégamment vêtue, est reconnaissable
à son attribut le plus fréquent et le plus ancien,
le vase à nard dont elle oint les pieds de Jésus
chez Simon (et qu'elle avait apporté avec elle au
Sépulcre). Derrière saint Étienne,
que l'on reconnaît à la pierre qu'il tient à
la main, et qui rappelle qu'il a été lapidé,
sous l'apparition du Christ dans le ciel, la Dispute de saint Étienne
et des juifs et sa Lapidation. On reconnaît saint
Christophe à sa fonction de porteur du Christ. Selon
la légende, rapportée dans la Légende
dorée, le géant qui cherchait à se mettre au
service de l'homme le plus puissant du monde, rencontre à
la fin de sa quête un ermite, représenté à
sa droite. Derrière la personne du saint, deux
scènes représentent son martyre : le Martyre du heaume
brûlant (un casque de fer rougi au feu est mis sur sa tête)
et sa décollation.

Et voici l'une des oeuvres les plus
époustouflantes de la collection, les Noces de Cana,
exécutées par Gérard David autour de 1500-1520.
La scène se passe dans une galerie percée
à gauche d’une ouverture offrant une vue sur une place
entourée de monuments gothiques (probablement à Bruges).
La table des noces, recouverte d’une nappe blanche, la
vaisselle (en étain ou en argent, les couverts, les verres
en cristal) et les mets laissent deviner le haut rang des hôtes.
La richesse est accentuée par la présence
de deux salières.

Retable intégrant les portraits
du donateur, Jean de Sedano, marchand castillan établi
à Bruges, et de son épouse Marie. Il n’y
a pas d’hommes à part le Christ et un vieil
homme, à droite, qui tend son gobelet d’étain.
Face à la mariée, un jeune homme découpe la
viande. Jésus et Marie se distinguent des autres
personnages par la sobriété de leur tenue sombre (à
part la coiffe blanche de Marie). Ils sont auréolés
de fins traits d’or entourant leurs têtes. Jésus
lève la main dans un geste de bénédiction ressemblant
à celui d’un prêtre au moment de la consécration.
Son regard semble se diriger vers le pain sur la table. Sa mère
regarde dans sa direction.

L'évolution physionomique
des portraits permet de situer cette commande bien après
celle du Triptyque de la Vierge en trône, peut-être
en rapport, vu son iconographie eucharistique, avec l'admission
du modèle dans la Confrérie du Saint-Sang, dont les
emblèmes rameaux d'argent entrelacés et gouttes de
sang sont brodés sur son manteau.

Le tableau, dont certaines parties
reviennent peut-être à l'atelier, se situe
certainement à la fin de la carrière du peintre, étant
donné son luminisme sombre et fondu.

La scène relate le récit
tiré de l’Evangile de Jean (le seul à ne pas
relater la Cène) qui a choisi de figurer l’Eucharistie
à travers deux récits de la vie du Christ
: les Noces de Cana, qui n’apparaît
dans aucun autre évangile et la multiplication des
pains.

La mariée, au centre,
est assise devant une tenture brodée. Vêtue d’une
robe rouge, les cheveux détachés pour la dernière
fois puisqu’elle portera désormais la coiffe blanche
des épouses, le regard baissé et les mains jointes,
elle semble prier.

Toujours de Gérard David,
voici le triptyque de la famille Sedano, huile sur bois datant de
1495. Oeuvre du début de la maturité de l'artiste
vers 1490/1495, remarquable par la séduisante innovation
d'un fond de paysage continu, unifiant tout l'espace du retable.
Belle opposition iconographique entre la face extérieure
(monde des pécheurs : Adam et Eve, presque du Van Eyck !)
et la face intérieure, paradisiaque, du monde céleste
(la Vierge en son symbolique jardin ; les orants, mis sur le plan
des anges et déjà en présence du Christ-Enfant
grâce à la maternité divine de la Vierge).

L’œuvre présente
une iconographie traditionnelle. Le panneau central montre
la Vierge et l’Enfant assis sur un trône - rappelant
les madones de Van Eyck – entourés de deux anges musiciens.
La structure du trône est ornée d’éléments
italianisants comme les guirlandes et les putti. La haie
de rosiers derrière le drap d’honneur est une image
empruntée au Cantique des Cantiques et répandue dans
l’art européen du XVe siècle. Les volets
sont réservés aux donateurs : à gauche,
Jean de Sedano accompagné de saint Jean-Baptiste et de son
fils tenant une croix (ce qui laisse supposer que l’enfant
était mort lors de la réalisation de l’œuvre),
à droite, son épouse Marie avec saint Jean.

Tout aussi extraordinaire, voici la
Flagellation du Christ, par le maître du retable Strache,
peint autour de 1500. Volet d'un retable de la Passion, dit "Retable
Strache'', du nom de ce collectionneur autrichien de Dornbach, près
de Vienne, qui le posséda jusque vers 1900, avant son démembrement.
Partie centrale au musée de Darmstadt (Le Christ
au jardin des Oliviers) ; autres volets aux musées de Nuremberg
(Le Portement de croix) et de Berlin (Le Christ devant Pilate),
et dans une collection particulière (La Crucifixion).
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Le Maître
L. Cz. est un artiste graveur et peintre anonyme représentant
des sujets religieux chrétiens. Le monogrammiste
a probablement été actif de 1480 à
1505 dans la ville de Bamberg en Franconie. |
Les
érudits ont mené des recherches sur son identité
et supposent, entre autres, qu'il est le Maître du Retable
Strache ou Lorenz Katzheimer.

L’analyse stylistique des
quelques douze œuvres gravées encore en existence qui
lui sont attribuées le désigne comme un artiste de
transition dont les premières œuvres sont encore marquées
par le style du Moyen Âge, mais dont l'évolution préfigure
le style plus souple de la Renaissance allemande, incarné
dans l’œuvre gravé d’Albrecht Dürer.

Il existe douze gravures de
Maître L. Cz.6, dix sont signées et seulement deux
datées. Ces œuvres montrent l'influence
de Maître E. S., du Maître du Livre de Raison et de
Martin Schongauer. Cependant, alors que les premières
gravures sont encore raides, les gravures plus tardives
sont marquées par une liberté de ligne et de riches
tonalités bien contrastées, notamment La Tentation
du Christ, qui montre un artiste parvenu à maturité
travaillant son propre style avec virtuosité.

Oeuvre très rare, voici
la Pieta de Saint-Germain-des-Prés, par le maître de
Saint-Germain-des-Prés, peint autour de 1500.

Le Christ avec ses stigmates
est soutenu par la Vierge Marie. Elle pleure la mort et
les souffrances de son fils. Le paysage à gauche
de la Pietà montre un panorama de Paris vu du Sud. On voit
d'abord l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés avec ses trois
tours puis, au-delà de la Seine, le Palais du Louvre et l'hôtel
du Petit-Bourbon. Au fond, la butte de Montmartre. Les
personnages autour de la Vierge et du Christ de la Déploration
sont Joseph d’Arimathie, une Marie, saint Jean, Nicodème
et Marie-Madeleine, groupés en un demi-cercle aéré,
les riches brocarts dorés qui rappellent le Maître
de la Sainte Parenté le Jeune, le rendu avec précision
et même préciosité dans les accessoires que
l'on voit aussi chez le Maître de saint Barthélemy,
sont ici placés un paysage vaste, avec une réelle
profondeur, dans un panneau de retable de grande largeur.

Nicodème, qui dans ses
mains gantés de bleu tient la couronne d'épines et
les clous, est vêtu d'un habit d'une richesse extrême,
avec des bordures sertis de pierres colorées. Le
choix des couleurs du Christ, avec les plaies bleuies, les pieds
énormes, et les visages ravagés se retrouvent chez
les artistes colonais de la fin du siècle. L'extrême
grâce des figures féminines rappelle le Maître
de la Saint Barthélemy.

Le peintre, dans son style, est
rhénan et de formation colonaise. Fixé en
France aux alentours de 1500, il a réalisé
d'autres tableaux, dont notamment un Portement de croix (ou Montée
au calvaire) au Musée de Lyon et un autre, dans l'ancienne
collection Chillingworth. Son style est proche
du Maître de la Sainte Parenté le Jeune et du Maître
de saint Barthélemy. Il montre un sens de
l'ordonnance claire, une élégance et une mesure proche
de l'esthétique française.

Voici une oeuvre tout à fait
étonnante : le Combat de Saint-Georges contre le
dragon, peint par un peintre anonyme, actif dans la région
du Rhin supérieur autour de 1480-1500.
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Georges, officier
romain, vint à traverser Trébizonde, contrée
terrorisée par un dragon exigeant un tribut quotidien
de jeunes gens à dévorer ; le sort, ce jour-là,
a désigné la princesse. Georges engage
un combat acharné contre la bête qu'il transperce
de sa lance et délivre ainsi la princesse. Personnage
totalement légendaire, Georges devint le patron des
chevaliers. Son culte se développa plus particulièrement
en Europe, au retour des croisades. |
Ce tableau
a été parfois attribué à Hans
Baldung Grien, à Hinrich Funhof et au Maître du Hausbuch.

Le dragon est issu du bestiaire
de l'imaginaire gothique, créature plus merveilleuse qu'effrayante.

Enfin, voici l'une des oeuvres les
plus stupéfiantes de la collection : la Descente
de Croix, par le maître de la Saint-Barthélémy,
actif à Cologne autour de 1480-1510.

Commandé par un monastère
de l'Ordre hospitalier de Saint-Antoine. La Descente de Croix de
Rogier van der Weyden a pu être un modèle.

Aucune de ses peintures n'est signée,
comme d'usage au Moyen Âge, et aucun document d'archive le
concernant n'est connu. Il porte son nom de convention
d'après une de ses œuvres principales, un retable
installé à l'origine dans l'église Sainte-Colombe
de Cologne et qui montre au centre l'apôtre Barthélemy.
Dans la pupille de l’œil droit du dragon sur le volet
droit de ce triptyque on peut deviner l'esquisse d'un visage qui
est possiblement un autoportrait de l'artiste.

Le Maître de saint Barthélemy
et son atelier ont produit de nombreux retables et tableaux pour
les églises colonaises. L'origine du Maître
est discutée. D'une part, l'influence de Stefan Lochner
est manifeste et parle pour une origine colonaise ou au
moins pour une formation à Cologne, d'autre part, les
influences néerlandaises sont tout aussi visibles.
Il est plus communément admis qu'il est d'origine
néerlandaise, d'Utrecht ou d'Arnhem en Gueldre.

Le fait qu'il ait exécuté
ses plus importantes commandes pour la chartreuse de Cologne a conduits
certains spécialistes à penser qu'il pouvait être
lui-même un chartreux, moine ou convers. D'un autre
côté, le nombre important de ses œuvres
conduit à privilégier l'existence d'un atelier plus
en contact avec la société colonaise et l'évolution
de la mode comme le reflètent dans son style la précision
des étoffes, des coiffes, des bijoux et autres objets du
monde, ainsi que la rencontre de femmes visiblement représentées
dans ses peintures. Ceci est difficile à imaginer
dans une chartreuse.

Son œuvre, où les
personnages et les objets sont d'une plasticité remarquable,
se situe entre l'art gothique tardif et le début de la Renaissance.
L'artiste se montre éclectique et personnel dans
le choix des éléments de style et des thèmes
de ses tableaux. L'influence de la miniature néerlandaise
est visible, d'ailleurs il l'a lui-même pratiquée.
Il sait adapter le style flamand, comme Rogier van der Weyden, à
la piété colonaise exprimée par Stefan Lochner.

Le raffinement des couleurs,
le chatoiement des tissus, la richesse décorative, les formes
extravagantes, les gestes contournés, le soin d'orfèvre
pour le détail, un goût presque obsessionnel pour la
préciosité des matières, sont typiques de son
style personnel. À une époque où la
peinture change profondément, le peintre reste attaché
aux formes et à l'esprit gothiques, peut-être marqué
par l'atmosphère spirituelle du couvent des chartreux de
Cologne, l'un de ses commanditaires importants. Il
est considéré comme le principal représentant
de la peinture gothique tardive à Cologne.

Un peu moins d'une trentaine
de tableaux sont attribués au Maître de saint Barthélemy
sur la base de similitudes stylistiques ; parmi eux, on peut distinguer
plusieurs mains, et notamment deux compagnons de son atelier
(et d'autres collaborateurs sous leur autorité). Certains
tableaux possèdent des fortes similarités thématiques
et de composition et sont de qualité très inégale,
comme la Descente de croix de Philadelphie, et on peut penser qu'ils
ont été copiés, pour certains plusieurs
fois, comme la Sainte Famille, par des membres de son atelier ou
de son entourage ou même plus tardivement par des successeurs.



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