Etape
54 - Musée du Louvre - Les grands maîtres de la peinture
de genre
Mercredi 3 avril 2019. Je poursuis
ma visite des collections hollandaises, flamandes et d'Europe
du Nord du XVIIe siècle. A commencer par Militaire
rendant visite à une jeune femme (1660), de Gabriel Metsu.
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De la période de
maturité de l'artiste, sous l'influence de
Ter Borch. Scène classique de la vie galante où
se mêlent amour et boisson. |
Dans aucune de ses œuvres, les leçons
apprises de Rembrandt ne semblent avoir été vaines.
Les mêmes principes d’ombres et de lumière qui
marquent Le Christ et la femme adultère, son œuvre de
jeunesse, ont été appliqués à des sujets
d’un genre assez différent.

Un groupe dans un salon, une
série de groupes sur une place de marché, ou un personnage
représenté seul dans la pénombre d’une
taverne ou d’un salon, sont traités avec le
plus grand bonheur par une concentration et une graduation justes
de la lumière avec, transpirant de chaque zone, un chaud
éclat coloré; de plus, l’étude
de la texture des tissus est portée au même degré
que celui atteint par Gerard Ter Borch ou Gérard Dou, avec
si possible un fini, un brio presqu'égal à celui de
De Hooch.

Joueur de cartes dans un riche
intérieur, de Pieter de Hooch (1665). Ce
tableau peint vers 1663-1665 se situe dans les premières
années de la période amsteldamoise de l'artiste (à
partir de 1660-1661). Le jeu de cartes, allant de pair avec
des démarches galantes, est truqué : la femme, de
moralité sans doute suspecte, a tous les as dans son jeu.

Un homme et une femme jouent aux cartes,
confortablement installés devant une grande cheminée
de marbre. Un petit serviteur s'approche un peu timidement,
apportant une carafe pour emplir le verre d'un autre personnage
qui bavarde avec la jeune joueuse. A l'arrière-plan, un couple
profite de la pénombre dorée pour s'enlacer.
Nul doute qu'il s'agit d'une maison de rendez-vous galants,
où se rencontrent jeunes hommes et complaisantes hôtesses.
Dans ce lieu les relations amoureuses sont aussi fausses
que les jeux de cartes, comme semble l'indiquer la belle courtisane
qui tend avec un plaisir non dissimulé son carré d'as
truqué.

Lors de son séjour à
Delft (de 1653 à 1663), Pieter de Hooch s'est profondément
imprégné de l'art coloré et rigoureusement
construit de Carel Fabritius, peintre qui a aussi influencé
Vermeer. Mais il élabore alors un style personnel
qui fait son succès, basant ses compositions sur des jeux
de perspective colorée, dans lesquels les personnages s'inscrivent
avec une grande harmonie. Ses oeuvres, subtilement mises
en lumière par un éclairage latéral, s'appuient
sur une succession de pièces s'ouvrant les unes sur les autres.
Le dallage de marbre souligne les lignes de fuite du tableau. Ces
échappées spatiales (portes entrebâillées
et fenêtres ouvrant sur l'extérieur) sont rythmées
par des effets contrastés de lumière, qui accentuent
les lignes et les volumes.

La galante compagnie, dit La
Buveuse (1658), de Pieter de Hooch. Véritable
innovateur, Pieter de Hooch crée une peinture de
genre sans précédent en érigeant un nouvel
ordre spatial teinté de naturalisme. Il étend
sa gamme de coloris, autrefois assez réduite, en déployant
une palette nuancée, et donne une place essentielle
à la lumière. L’ouverture sur
l’extérieur ou vers une pièce en second plan,
à travers une fenêtre ou par l’embrasure d’une
porte, devient sa signature. Cette échappée,
doorkijkje en néerlandais, permet au peintre de construire
l’espace en profondeur, mais surtout de faire pénétrer
la lumière en plusieurs points, afin qu’elle enveloppe
ses compositions.

Dans La Buveuse, peinte en
1658 à l’apogée de sa période delftoise,
une femme vêtue d’une robe rouge et d’une
veste argentée est assise au centre de la scène. Elle
lève un verre que remplit un homme debout, auquel une femme
plus âgée semble souffler quelques mots. Assis, dos
à la fenêtre, un autre homme fume une pipe.
Au premier plan, se trouve un petit chien endormi à côté
d’une chaise vide. Une carte représentant une vue d’Amsterdam
est accrochée sur le mur du fond, ainsi qu’un tableau
représentant Le Christ et la femme adultère.

La porte de cette première pièce
s’ouvre sur un vestibule, puis sur une pièce
avec au fond une armoire qui ferme l’espace sur laquelle est
posée une petite statuette. Le peintre exprime son
goût prononcé pour un éclairage latéral,
mais aussi son recours quasi systématique à une perspective
fuyante inscrite ici dans le parquet. L’œuvre
intitulée Une Femme buvant avec deux hommes et une servante
(Londres, National Gallery) présente une composition similaire
: l’échappée vers le fond est cependant remplacée
par une cheminée, et la femme au verre se tient dos au spectateur.
Les combinaisons spatiales de ces tableaux reposent sur le même
type de perspective élaborée avec équilibre,
servie par un jeu de lignes orthogonales qui crée une subtile
harmonie de lignes et de couleur.

De Hooch a souvent accroché
des peintures dans ses intérieurs. Elles apportent une charge
symbolique au sujet, comme ce Christ et la femme adultère
qui fait ici allusion à cette scène galante où
la courtisane s’affale mollement sur sa chaise, alors que
l’entremetteuse s’apprête peut-être à
conclure une affaire. Cette intrusion de la peinture dans
la peinture permet donc plusieurs lectures et de Hooch suit ainsi
la tradition hollandaise qui veut que la peinture adhère
au concept classique de tot leeringh ende vermaeck : apprendre et
se divertir. L’alcool, les effets de l’intempérance,
le pêché de la chair sont alors ainsi condamnés.

Composition époustouflante de
Gabriel Metsu : Le Marché aux légumes, dit
Le Marché aux herbes (1660). Le Marché aux
herbes fut peint vers 1660-1661, alors que Metsu, qui habitait
dans le quartier, atteignait la pleine possession de son art. À
travers une évocation de la vie quotidienne pleine de verve,
il évoque une pièce de théâtre
comique à succès, d'où l'étonnante présence
d'un impertinent laquais déguisé en bouffon rouge.
C'est l'un de ses chefs-d'oeuvre par sa grande taille et la douceur
évocatrice du paysage urbain.

Ce marché aux herbes
et aux légumes se tient sur les bords d'un canal, le Prinsengracht,
dans la très florissante cité d'Amsterdam.
C'est à proximité de celui-ci qu'habitait Gabriel
Metsu depuis 1657, il a pu donc attentivement observer la
vie de ce petit monde. Le peintre met en scène un véritable
tableau vivant, très influencé par le théâtre
contemporain.

L'activité commerçante
et le choix même des légumes répondent d'ailleurs
d'une façon assez précise à un passage de Het
Moortje (1615), pièce burlesque de G. A. Bredero fort connue
à l'époque. Le premier plan, où se
placent les principaux protagonistes, est vivement éclairé
par une lumière qui souligne les couleurs vives : rouge,
vert et blanc qui rivalisent d'éclat. Cette agitation colorée
contraste avec les sourdes tonalités brunes de l'arrière-plan
et le paisible paysage urbain scandé par le rythme régulier
et géométrique des façades.

Cette scène de genre, jouée
en plein air, est plaisamment composée. Sur la gauche
du tableau une mégère, les mains solidement campées
sur les hanches, discute âprement la qualité ou le
prix des légumes. Une sympathique et ronde matrone ignore
stoïquement ses attaques et tourne la tête, comme pour
prendre à partie le spectateur. À cette scène
semble faire écho, non sans humour, les deux animaux situés
sur la droite de la composition. Le coq et le chien se jaugent
du regard, et l'équilibre précaire de la cage d'osier
augure un très prochain et joyeux désordre de poils
et de plumes. Au centre du tableau, comme étrangère
à l'agitation marchande, se déroule une saynète
de badinage amoureux. Un galant empressé, à
l'élégant costume bourguignon, courtise une douce
ménagère qui l'écoute avec une pudique retenue,
mais non sans intérêt.

Les tons vifs et colorés et
la facture malhabile de certains personnages à l'arrière-plan,
un peu raides, rappellent la période leydoise de
l'artiste, ce qui permet de dater le tableau vers 1660-1661. Cette
toile est exceptionnelle dans l'oeuvre de Metsu, mélangeant
habilement scène de marché réaliste et allusions
théâtrales. Ce chef-d'oeuvre du peintre, par
ses dimensions relativement grandes pour ce type de sujet, montre
toute l'ambition de son auteur et l'importance des peintures de
genre.

La Cuisinière hollandaise
ou Femme versant de l'eau dans un récipient (1650), de Gérard
Dou. Carottes pointées vers le spectateur, lanterne,
une volaille pendue. La femme arbore un sourire entendu.

La lecture de la Bible ou Anne
et Tobit (1645), de Gérard Dou. Tableau d'idée
toute rembranesque du génial Gérard Dou. Il est le
principal représentant de l’école de Leyde,
dite de la « peinture fine » (Fijnschilderei), dont
la technique s'apparente à la miniature (enluminure). Formé
par Rembrandt, il est si proche du style de son maître que
l’on attribue certaines œuvres à un travail commun
entre les deux artistes. Les tableaux de Gérard Dou ont la
particularité d’être toujours de petit format,
dans un style extrêmement minutieux, représentations
de scènes souvent surmontées d’un encadrement
en forme d’arc en trompe-l'œil.

Gérard Dou préférait
peindre sur des panneaux de bois qui offraient une surface plus
lisse que la toile, et se servait d’une loupe pour le fini
des détails. Il forma Frans van Mieris de Oudere
et Gabriel Metsu. On possède un portrait de lui par Étienne
Compardel, probablement un de ses amis.

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Portrait
d'homme à la canne avec serviteur noir et un chien
(1672), de Frans Van Mieris, dit l'Ancien. Mieris
subira l'influence de plusieurs maîtres, notamment celle
de Jacobus Houbraken et d'Abraham van Toorenvliet, mais
la plus déterminante sera celle de Gérard Dou.
Il est classé avec celui-ci ainsi qu'avec
Gabriel Metsu parmi les fijnschilders néerlandais,
ces peintres dont la précision est telle que
les coups de pinceaux en deviennent invisibles à l'œil
nu. Le rendu des étoffes, de la soie en particulier,
est, à ce titre, remarquable. Frans Mieris
est aussi l'ami de Jan Steen. |
Les bulles de savon, de Willem Van Mieris
(1720). Classique représentation d'un thème
de vanité (homo sicut bulla !). Bas-relief bachique à
la Duquesnoy.



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