Etape
29 - Chaîne du Pirin - La descente dangereuse du Vihren
Samedi 26 juin 2021. Après
la très éprouvante descente de la bosse du Vihren,
je suis vraiment fatigué... Mais pas question de
me reposer. Il me reste encore au moins trois ou quatre heures de
marche pour revenir au refuge...

Après avoir de nouveau contourné
la bosse et être retourné sur le chemin principal,
j'arrive bientôt aux réelles difficultés...

Le chemin caillouteux que j'avais traversé
à l'aller s'avère plutôt compliqué à
redescendre et je dois m'y reprendre à plusieurs
fois pour ne pas le quitter... Les premières chutes commencent.

Sur l'une d'entre elles, je glisse
sur un rocher traversé par un ruisseau et je tombe
en arrière sur un autre rocher. Dieu merci, j'ai mon sac
photo sur le dos qui amortit ma chute, mais je commence à
saigner au moignet droit...

A peine ai-je vérifier que je
n'ai pas cassé les objectifs qui sont dans mon sac-photo
et me voilà bientôt devant la principale difficulté
: le névé principal que j'avais déjà
eu peine à traverser à l'aller.

Bon, l'idée comme à l'aller
est bien de suivre le tracé marqué dans la neige compactée
par les précédents randonneurs et de marcher dans
leurs pas... Sauf que... Cette fois-ci, je suis déjà
éprouvé par la montée et la descente du Vihren,
et surtout par ma chute précédente...

J'essaie de reconstituer mes forces
et je m'élance. Un dénivelé d'une trentaine
de centimètres se fait jour entre le glacier et la roche
nue. Dès le premier pas, je glisse. Mais heureusement, je
parviens à tenir debout... Ouf !

Maintenant que je suis sur le chemin
qui traverse le glacier sur une centaine de mètres,
je n'ai plus qu'à avancer. La première partie se fait
finalement sans trop de difficultés grâce au léger
dénivelé que forme le glacier. Mais ça ne va
pas durer...

A l'entame du dénivelé
négatif (à peine quelques pourcents...), et alors
que je suis à peu près à mi-chemin, je glisse
de nouveau. Mais cette fois-ci, je ne parviens pas à
me remettre sur le glacier et je chute lourdement en arrière...
Aussitôt, je me mets à glisser le long du glacier...

Je glisse, il me semble sur 5 ou 6
mètres, peut-être sept, je ne sais pas. Difficile à
dire. Pas le temps de réfléchir. J'ai surtout
la chance de ne pas être emporté dans ma chute jusqu'au
bas du glacier. Il se peut très bien qu'il y ait un petit
ravin entre la fin du glacier et la roche en contrebas...

Je ne sais donc pas par quel miracle
je ne suis pas emporté jusqu'au bas du glacier. Je
remonte tant bien que mal en m'accrochant à la glace pour
remonter jusqu'au tracé. Là aussi, ne me demandez
pas comment j'ai fait pour remonter, je ne le sais pas moi-même.
Mais je parviens à remonter jusqu'au chemin.

Mes mains sont tétanisées
par le gel et je ne les sens presque plus. Je parviens à
me remettre sur les jambes et je reste un instant immobile, debout
en plein milieu du chemin, incapable d'avancer...

Etrangement, je n'ai pas peur. Je suis
juste traversé par une énorme décharge
d'adrénaline provoquée par la chute et par les efforts
que j'ai fournis pour remonter sur le chemin. De l'autre côté
du glacier, j'entrevois de nouveau le chemin ennherbé sur
lequel se tient un petit groupe qui attend que j'ai traversé
pour s'élancer à leur tour.

C'est ce qu'il va me sauver, je crois.
La vue de ce petit groupe. Du coup, je me remets à
avancer le long du glacier. A tout petit pas. Le nez pointé
sur mes chaussures de merde que je me promets de mettre à
la poubelle dès mon retour à Paris !

J'avance enfin. Et finalement, après
plusieurs minutes d'un parcours cahotique, je parviens enfin à
regagner le bord du glacier. Je suis sauvé. Ouf !

A quelques mètres de là,
j'aperçois un rocher planté un peu à
l'écart du chemin où le petit groupe d'adolescents
s'agglutine pour traverser à leur tour le glacier, mais en
sens inverse du mien. Une fille se fait méchamment sermoner
par son accompagnateur, mais à vrai dire, je m'en fous.

Je suis tétatiné. C'est
maintenant que la peur m'envahit. J'ai besoin de plusieurs
minutes pour récupérer et me défaire de cette
énorme charge d'adrénaline qui m'a traversé
au moment de la chute.

C'est dingue, mais je crois que c'est
bien cette décharge d'adrénaline qui m'a permis de
ne pas paniquer et de remonter sur le glacier pour pouvoir le traverser.
Sur le coup, aucune peur. Juste l'instinct de survie et
la force de s'en sortir. C'est fou comme on apprend sur son corps
quand on fait du sport et qu'on est victime d'un accident.

Du coup, je vais rester un
bon moment tétanisé sur mon rocher avant de pouvoir
reprendre mes esprits et m'élancer de nouveau sur le chemin
du retour.

Ce même chemin ne présente
pas de difficulté. Du coup, je vais prendre tout
mon temps pour rentrer, le temps de reprendre mon souffle et mon
énergie. Mais une chose est sûre, il ne faut jamais
plaisanter avec l'équipement quand on marche en montagne.

Et si j'ai bien appris quelque chose
de cette mésaventure, c'est qu'il faut absolument
avoir de très bonnes chaussures de montagne quand on marche
et qu'il faut être muni de bâtons de marche pour limiter
les efforts dans la descente. Sans quoi, on risque l'accident dû
à la fatigue et l'accumulation des efforts.

Voilà donc la leçon et
l'enseignement que j'ai tirés de mon accident. Ne jamais
partir en montagne sans être bien équipé.

Et surtout, j'ai beaucoup appris sur
le corps et le mental humain, sur cet instinct de survie qui vous
fait faire des choses folles et vous pert de vous sublimer quand
votre vie en dépend...

Ironie du sort, après cette
mésaventure, quelques hectomètres plus loin, je
vais croiser la route d'un superbe chamois dressé au loin
sur un rocher, au pied du glacier, comme pour me rappeler que la
nature reste toujours la plus forte. Indomptable.





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