Etape 57 - Moscou - Les chars d'assaut préparent le défilé du 1er mai
Lundi 29 avril 2019. Au sortir de la place Rouge, l'armée russe se positionne de part et d'autre de la rue Tserskaïa, qui se prolonge à l'ouest vers la grande avenue de Nova Arbat tracée par Staline, pour empêcher les badauds de traverser la chaussée. Et pour cause, les chars d'assaut et autres véhicules de guerre attendent de se positionner à l'entrée de la place Rouge où le défilé militaire se tiendra dans deux jours... Impossible de traverser la route ! Pour cela, il faut remonter plus de 500 mètres en amont et passer sous la chaussée par un tunnel piéton pour déboucher sur le trottoir d'en face ! Une vraie galère. Du coup, avant de filer de l'autre côté de la place Rouge, j'en profite pour remonter l'avenue et faire des photos des engins militaires. Impressionnant ! Quelque chose me dit qu'il vaut mieux qu'il n'y ait pas une guerre contre les Russes...

Du coup, je profite de ce moment et de ces quelques photos et vidéos prises le long de l'avenue pour reprendre le cours de mon histoire russe et moscovite. Je pourrais bien entendu faire un bond dans le futur et atterrir tout droit au 21 juin 1941, quand les armées hitlériennes rompent le pacte germano-soviétique pour envahir tout l'ouest de la Russie et une grande partie de l'Ukraine, mais je me dis que j'aurai bien le temps un peu plus tard... Et puis, avec tous les documentaires faits sur cette période sombre de l'histoire, je pense qu'il n'y a plus vraiment grand chose à dire. Du coup, je remonte la pendule de l'histoire et la stoppe au milieu du XVe siècle pour faire coucou au grand Ivan, dit le Terrible !

Je remonte même d'un cran la pendule de l'histoire pour me plonger dans le règne d'Ivan III, dit le "Grand". Devenu grand-prince de Vladimir et de Moscou en 1462, il règnera plus de 40 ans. Il s'engage alors dans une politique d'unification menée sans ménagement, notamment à l'égard de Novgorod qui, jusque là, avait été épargnée par les Tatars. Avec ses 30.000 âmes, Novgorod était alors plus peuplée que Moscou et s'était rendue indépendante de Kiev en 1136, avant de constituer une république marchande indépendante gouvernée par une assemblée de citoyens.

Pas vraiment de quoi plaire au grand Ivan. Le prince en chasse alors les marchands de la Hanse et contraint Novgorod à intégrer le giron de Moscou. Novgorod perd ainsi son indépendance et les fondements de sa prospérité. Cette annexion fait suite à la conquête des principautés de Tver et de Riazan, placé dans l'orbite du grand-ducré de Lituanie. Car l'expansionnisme de ce voisin, converti récemment au catholicisme, inquiète fortement Ivan le Grand, qui lui conteste ses terres "russes". La Lituanie s'étend alors jusqu'à la Mer Noire, comptant une majorité de sujets russes et orthodoxes.

Par une victoire décisive obtenue en 1480 avec l'alliance du Khan de Crimée, Ivan III parvient enfin à réduire considérablement le pouvoir de nuisance de la Horde d'Or. Conséquence directe : il cesse de payer son tribut au grand khan mongol. Le destin de la Russie bascule. Ivan III met en place tout une série de réformes. Un premier code de lois est instauré, ainsi que l'attribution de terres à une noblesse de vassaux.

Les boyards qui constituaient autrefois des armées mobiles au service des princes se sédentarisent. Leur transformation en une caste de propriétaires terriens, vivant des redevances et du travail des paysans établis sur leur domaine, conduit à l'institutionnalisation du servage... qui perdurera jusqu'à la révolution d'octobre 1917 ! C'en est bien fini alors de la confédérations de principautés indépendantes mise en place par les Vikings au XIe siècle. L'absolutisme, l'expansion territoriale et la centalisation de l'Etat constituront désormais les remparts de la Russie contre ses envahisseurs et la menace de l'anarchie.

De son côté, Moscou change aussi. Grâce à Ivan III, l'ancien système féodal qui aboutissait au partage de la capitale en plusieurs zones d'administration confiées aux membres de la famille princière prend fin. Dans la foulée, et surtout dans le sillage de l'arrivée à Moscou de Sophie Paléologue, cette princesse byzantine réfugiée avec sa cour en Italie du Nord après la chute de Constantinople par les Ottomans, les Italiens investissent Moscou. Le pape fait pression sur la princesse pour qu'elle épouse Ivan III et ramène le monarque dans le giron du catholicisme...

Ivan III a alos la folie des grandeurs. Il veut faire bâtir à Moscou un édifice dont la magnificence dépassera celle de la cathédrale de la Dormition, à Vladimir. Il fait appel à un architecte italien qui réalise un projet dans le respect de la tradition russe de Vladimir tout en empruntant à l'architecture italienne. C'est ainsi que naît la Place Rouge, ou Belle Place. Deux Italiens réalisent la nouvelle enceinte du Kremlin, ainsi qu'un nouveau palais impérial.

Autre monarque, autre tournant dans l'histoire russe. En 1547, Ivan IV, petit-fils d'Ivan III, seulement âgé de 17 ans, se fait couronner tsar, c'est-à-dire "César". Un titre jadis réservé à l'empereur byzantin. La référence à Moscou comme "3e Rome" est illustrée par l'aigle bicéphale.

Mais les débuts du nouveau tsar sont difficiles. Il ne parvient pas à conserver le fragile équilibre atteint par ses prédécesseurs dans les relations de la Russie avec ses voisins occidentaux. Il envahit les actuelles Lettonie et Estonie, qui, quelques années plus tôt, se sont données aux Polonais. En 1569, la Lituanie est annexée à cette même Pologne, et une guerre de 25 ans avec les Suédois fait perdre à la Russie toutes ses possessions sur le golfe de Finlande.

Qu'importe, Ivan le Terrible aime faire la guerre. Il se lance bientôt dans une campagne contre les Tatars. Ses victoires en 1552 et 1556 ouvrent la voie des steppes s'étendant en direction de la mer Noire. Puis ses armées visent la Sibérie. L'Oural est franchi en 1581. Quelques familles de nobles s'engagent dans l'exploitation des riches de ces nouveaux territoires. Le servage se généralise. Une sorte de corps d'élite d'arqueusiers, les Strelsy renforcent le pouvoir. L'armée régulière exerce une pression énorme sur les masses paysannes. En 1565, la création d'un ensemble de territoires placés sous la coupe de militaires de la garde, permet de mettre à sa botte les boyards. Les terres de ces derniers sont confisquées.

Enfin, en 1560, la tsarine Anastassia meurt. Ivan le Terrible est persuadé qu'elle a été assassinée, empoisonnée, et se croit entouré d'ennemis. Cette épisode dramatique marque un changement dans l'atmosphère de son règne, qui sera ponctué d'horreurs jusqu'à sa mort, en 1584. Ainsi, en 1570, les habitants de Novgorod, accusés de comploter contre le tsar avec la Pologne, sont massacrés par la garde impériale. Pire, trois ans avant sa mort, Ivan tue son fils aîné dans un accès de démence paranoïaque.

La violence de la deuxième partie du règne d'Ivan le Terrible est annonciatrice des catastrophes à venir. La Russie traverse une période de crise profonde. Les deux fils survivants, Fiodor et Dimitri, vont devoir faire face aux difficultés. Depuis la mort de son père, Fiodor gouverne avec la participation active de son beau-frère, Boris Goudounov. Il meurt en 1598 sans laisser d'héritier. Son frère cadet, Dimitri, a disparu dans des conditions mystérieuses en 1591. Boris Gouounov s'autoproclame tsar à la mort de Fiodor. Mais il meurt à son tour en 1605.

Les Polonais marchent alors sur Moscou, conduits par un imposteur qui les a convaincus être Dimitri, le frère d'Ivan le Terrible. Proclamé tsar en 1605, faux Dimitri I est tué en 1606 et cède le trône à une "dynastie" d'imposteurs, sans aucun liens de parenté entre eux. Faux Dimitri II (1607-1610), tout d'abord, qui sera soutenu par la Pologne. Puis, en 1611, l'avènement simultané de faux Dimitri III t faux Dimitri IV ! Du coup, au sud, les Tatars reprennent du poil de la bête. Durant la fin du XVIe siècle, la ville de Moscou est attaquée par deux fois par les Tatars, incendiée et pillée. Le Grand-Bourg est alors entouré d'un mur en pierre. Il prend alors le nom de Kitaï-Gorod.

Les faubourgs de la rive gauche, au-delà du Kremlin et de Kitaï-Gorod sont à leur tour ceint d'un mur de briques que l'on peint en blanc. Ces faubourgs prennent rapidement le nom de "ville blanche". Ici, se côtoient nobles, boyards et artisans. La plupart des grandes artères contemporaines de la ville sont déjà tracées. Dans ses nouvelles limites, la ville est l'une des plus étendues d'Europe. Sur la PLace Rouge, la cathédrale de Basile-le-Bienheureux célèbre la victoire d'Ivan le Terrible sur le khanat de Kazan.

Après cette période sombre, et après avoir chassé les Polonais, entrés dans Moscou en 1610, l'assemblée des boyards porte sur le trône Michel Romanov, le petit-neveu d'Anastassia, la première femme d'Ivan le Terrible. De 1613 à 1682, sous Mikhail, Alexis et Fiodor, les règnes s'enchaînent sans heurts, et la Russie connaît une stabilité sans précédent. La paix est signée avec la Suède qui rend Novgorod, puis avec la Pologne. L'Ukraine est conquise.

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Mais d'importants territoires ont été perdus au sud et à l'ouest. La Russie reste privée d'accès à la mer Baltique. Toutefois, le développement du port d'Arkhangelsk, lancé sous Ivan le Terrible, se poursuit. Des étrangers prennent pied à Moscou. Dans Kitaï-Gorod, le XVIIe siècle voit la construction des galeries marchandes, dont le nom russe signifie littéralement "cour des hôtes", car les marchands étrangers étaient considérés comme des hôtes de la capitale. |
Moscou se transforme. Les églises sont construites en pierre. l'habitat commence à s'organiser autour de ces églises. Toutefois, malgré le cosmopolitisme et le mélange des influences, Moscou reste une ville profondément médiévale. L'avénement de Pierre le Grand va tout changer...




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