Etape
28 - Retour en gondole depuis Birgu - Une vue imprenable sur La
Valette
Samedi 5 avril 2025. Avant de quitter
Malte et de retraverser le bras de mer qui sépare les Trois-Cités
de la ville de La Valette, je voulais quand même profiter
de mon retour en gondole pour évoquer succintement l'histoire
de cette île qui ne se résume quand même pas
au seul siège des Ottomans.

Les premières traces d'occupation
humaine remontent au Néolithique (vers 5000 av. J.-C.),
lorsque des agriculteurs siciliens colonisèrent l'archipel,
laissant derrière eux des temples mégalithiques aux
formes elliptiques uniques en Méditerranée.

Les murs de Ggantija,
construits en calcaire corallien avec des techniques de levage encore
mal comprises, témoignent d'une société organisée
capable de mobiliser des ressources considérables pour des
projets cultuels.

Les Phéniciens établirent
des comptoirs vers le VIIIe siècle av. J.-C., transformant
Malte en relais entre Carthage et la Sicile. Leur héritage
linguistique persiste dans des toponymes comme "Mdina"
(la cité fortifiée) et dans certains termes maritimes
encore utilisés par les pêcheurs maltais.

Les Carthaginois renforcèrent
cette présence en érigeant des temples à
Tas-Silg, où des couches successives de sacrifices
animaux ont été identifiées par les archéologues.

La conquête romaine en
218 av. J.-C. fit de Malte un avant-poste stratégique.
Les vestiges de la villa romaine de Rabat révèlent
un luxe inattendu : systèmes de chauffage par hypocauste,
fresques représentant des scènes nilotiques, et des
citernes à filtration perfectionnées.

L'épave de Malte, découverte
au large de Gozo, contenait des amphores à vin de
Campanie et des lingots de plomb estampillés au nom de propriétaires
romains.

Le naufrage de saint Paul en
60 ap. J.-C., relaté dans les Actes des Apôtres,
marqua symboliquement l'arrivée du christianisme.

Les catacombes de Rabat, creusées
dans le calcaire tendre, montrent une transition progressive
des symboles païens vers l'iconographie chrétienne,
avec des graffiti évoluant du latin classique au latin vulgaire.

Les Byzantins, après
la chute de Rome, fortifièrent Mdina en réutilisant
des blocs de temples romains.

Leurs églises paléochrétiennes,
comme celle de Tas-Silg, superposent des éléments
architecturaux byzantins à des structures puniques antérieures.
Des fragments de mosaïques montrent des motifs géométriques
typiques de l'art constantinopolitain du VIe siècle.

La conquête arabe en
870 transforma radicalement la toponymie et l'agriculture.
Les nouveaux occupants introduisirent des systèmes d'irrigation
perfectionnés, des cultures en terrasse, et probablement
le coton.

La langue maltaise moderne conserve
environ 40% de vocabulaire d'origine arabe, notamment pour les termes
relatifs à la terre et à la mer. Les fortifications
de Mdina furent remodelées selon des principes islamiques,
avec des portes en chicane et des tours carrées.

Les Normands de Sicile prirent
possession de l'archipel en 1127, inaugurant une période
de syncrétisme culturel. La chapelle palatine de Mdina, construite
vers 1150, mélange des éléments romans avec
des influences arabes dans ses arcs outrepassés.

Les documents notariaux de l'époque,
rédigés en latin mais avec des annotations en arabe,
attestent d'une société multiculturelle où
cohabitaient chrétiens, musulmans et juifs.

La période angevine
(1194-1266) vit le déclin progressif de l'influence arabe.
Les registres fiscaux montrent une transition vers le système
féodal européen, avec des terres redistribuées
à des nobles français et italiens.

L'architecture militaire évolua
vers des donjons de type normand, comme celui intégré
plus tard dans le fort Saint-Ange.

Les Aragonais, à partir
de 1283, firent de Malte un avant-poste contre les raids barbaresques.
Les archives de la chancellerie de Barcelone contiennent des ordres
de fortification des ports, avec des spécifications techniques
pour les tours côtières.

La population, réduite à
environ 10 000 habitants, vivait principalement de l'exportation
de coton et de cumin, comme en témoignent les registres
douaniers génois.

Le XVe siècle prépara
inconsciemment l'arrivée des chevaliers de Saint-Jean.
Les fortifications médiévales, devenues obsolètes
face à l'artillerie naissante, furent partiellement modernisées.

Les derniers gouverneurs aragonais
établirent des contacts commerciaux avec Rhodes, ignorant
qu'ils préparaient le terrain pour la prochaine grande
transformation de l'archipel.

La victoire maltaise de 1565
déclencha une refonte totale de l'architecture défensive.
Jean de Valette ordonna immédiatement la construction de
La Valette sur la péninsule de Sciberras, selon des principes
urbanistiques révolutionnaires : rues rectilignes pour le
déploiement rapide des troupes, maisons à arcades
permettant des mouvements couverts, et un système de collecte
des eaux pluviales intégré dès la conception.

Les ingénieurs Francesco Laparelli
et Girolamo Cassar élaborèrent une ville-forteresse
où chaque élément décoratif dissimulait
une fonction militaire - les balcons servaient de postes
de tir, les volutes masquaient des meurtrières.

Le XVIIe siècle vit
l'épanouissement d'une culture maltaise hybride.
Les ateliers locaux, formés par des maîtres italiens,
développèrent un baroque insulaire distinct - voûtes
surbaissées adaptées au climat, retables combinant
marbre polychrome et bois doré, peintures utilisant des pigments
à base de corail broyé.

L'Inquisition romaine, établie
en 1574, transforma Malte en laboratoire du droit canonique
méditerranéen, produisant des manuels de
procédure qui influenceraient les tribunaux ecclésiastiques
jusqu'au XVIIIe siècle.

La décadence de l'Ordre
commença avec l'occupation française de 1798.
Bonaparte, en route pour l'Égypte, imposa une administration
révolutionnaire qui liquida brutalement les biens ecclésiastiques.

Les inventaires de cette période
révèlent l'ampleur des spoliations : bibliothèques
dispersées, argenterie fondue, archives brûlées
comme combustible. Le soulèvement populaire de septembre
1800, nourri par le ressentiment antifrançais et la faim,
ouvrit la voie à l'occupation britannique.

Les Britanniques transformèrent
Malte en base navale stratégique. Les docks de Grand
Harbour furent agrandis avec des techniques industrielles - grues
à vapeur, ateliers métallurgiques, bassins de radoub
en granite importé d'Écosse. La langue anglaise s'imposa
progressivement dans l'administration, tandis que le maltais, standardisé
par Mikiel Anton Vassalli, gagnait en prestige littéraire.

La Première Guerre mondiale
fit de Malte "l'infirmière de la Méditerranée".
Les hôpitaux militaires, installés dans d'anciens couvents,
traitèrent jusqu'à 25.000 blessés simultanément.
Les archives médicales détaillent des innovations
chirurgicales nées de la nécessité : greffes
de peau expérimentales, techniques de désinfection
adaptées au climat chaud.

La Seconde Guerre mondiale
soumit l'archipel à un blocus implacable. Les journaux
intimes de l'époque décrivent la survie quotidienne
: pain à la farine de pois chiches, carburant extrait des
résines de caroubier, abris creusés dans les catacombes
médiévales. La résistance maltaise valut à
la population la George Cross en 1942, seule décoration collective
de l'histoire britannique.

L'après-guerre accéléra
le mouvement vers l'autonomie. Les élections de
1947 virent émerger une classe politique formée à
Londres mais enracinée dans les villages maltais.

Les négociations constitutionnelles,
menées par George Borg Olivier, aboutirent à
une indépendance négociée en 1964 -
transfert pacifique où les bases britanniques furent conservées
contre des garanties économiques.



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