Etape
17 - Malte - En remontant à pied les quais de l'île
de Senglea
Samedi 5 avril 2025. Bonne nouvelle,
le gondolier m'a laissé débarqué sur l'île
de Senglea. Je n'en attendais pas autant. Du coup, je vais
pouvoir visiter les deux principales cités qui font face
à La Valette.

L'idée est de remonter
à pied l'île de Senglea le long des quais jusqu'à
Safe Heaven, les jardins créés au sommet
de la forteresse qui domine la presqu'île.

La promenade débute là
où les barques de pêcheurs s'entassent encore contre
les anneaux d'amarrage en fer forgé du XVIIe siècle,
leurs coques bleu outremer écaillées par le sel et
le soleil. Le quai, pavé de dalles inégales
usées par les allers-retours des charrettes à poissons,
monte en pente douce vers le nord, suivant une courbe qui épouse
le tracé des anciennes douves comblées.

Les façades des maisons de dockers,
hautes et étroites, alignent leurs portes cochères
peintes en vert bouteille - la couleur traditionnelle des familles
de marins. Leurs balcons fermés projettent une ombre
dentelée sur la chaussée, alternant bandes de lumière
et de fraîcheur. Des escaliers de pierre disparaissent entre
deux bâtiments, menant à des venelles si étroites
qu'un adulte doit se tourner de profil pour s'y faufiler.

A mi-parcours, l'ancienne forge
navale transformée en café conserve ses enclumes scellées
dans le sol, maintenant recouvertes de tables en zinc où
les vieux Maltais jouent aux cartes en sirotant des limonettes maison.
L'odeur du café se mêle à la senteur iodée
des algues accrochées aux pilotis en bois de mélèze.

En approchant de Safe Heaven, les quais
s'élargissent pour révéler des anneaux d'amarrage
monumentaux sculptés dans le calcaire globigérin,
jadis utilisés pour les galères de l'Ordre. Leurs
surfaces polies par les cordages portent encore les entailles laissées
par les grappins ottomans lors du Grand Siège. Un
vieux treuil en chêne, abandonné contre un mur, garde
dans ses rainures des fragments de cordage en chanvre goudronné.

Le dernier tronçon longe les
anciens magasins à poudre vénitiens, leurs murs de
trois mètres d'épaisseur percés de meurtrières
transformées en jardinières où prospèrent
des capucines sauvages. Le contraste est frappant entre
cette architecture militaire austère et les yachts blancs
amarrés en face, dont les haubans tintent doucement dans
la brise marine.

L'arrivée à Safe Heaven
se signale par une large plateforme en bois de teck, reconstituée
à l'identique des docks de l'époque britannique. Ses
planches craquent sous les pas avec ce son particulier que les marins
locaux appellent "la voix des vieux navires".
De là, la vue embrasse tout le Grand Harbour, depuis les
chantiers navals historiques jusqu'aux fortifications de La Valette,
dans une perspective inchangée depuis le temps des chevaliers.

Cette marche lente le long des quais
de Senglea est une plongée dans les strates successives
de l'histoire maltaise. Le contraste entre la vie maritime
traditionnelle et les aménagements contemporains crée
une tension palpable, comme si l'île elle-même hésitait
entre mémoire et modernité.



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