Etape 10 - Istanbul
- Un retour tant attendu à Saint-Sauveur in Chora
Samedi 22 mars 2025.
Enfin arrive mon moment le plus attendu de ce week-end à
Istanbul : mon retour à l'église Saint-Sauveur
in Chora, la plus belle des églises de Constantinople, que
j'avais eu la chance de visiter il y a plus de dix ans de ça,
et qui m'avait véritablement éblouie par sa beauté.

Et cette fois-ci, le trajet vers cette
église n'aura pas été une aventure -
je me souviens que mon taxi m'avait abandonné au milieu de
nulle-part à plus d'un kilomètre de l'église.

Non, cette fois-ci. Il a suffit de
suivre les indications de Google Maps et de monter dans
le bus qui nous a laissés à moins de cent mètres
de l'église. Rien de très compliqué.
Bien au contraire.

Bon, depuis mon passage, cet
idiot d'Erdogan a réussi de faire de Saint-Sauveur, bâtie
bien avant la naissance de Mahomet, une mosquée !
Passons ce petit détail. Et passons aussi le fait que les
prix d'entrée ont été considérablement
augmenté pour atteindre les 20 euros par personnes.

Fort heureusement, la stupidité
d'Erdogan n'est pas allée jusqu'à masquer les fresques
et les mosaïques de l'église. C'est un soulagement
!

Pour bien comprendre les fresques
et les mosaïques de l'église Saint-Sauveur in Chora,
il faut d'abord se pencher un instant sur son histoire.

L'église Saint-Sauveur-in-Chora,
édifiée au début du Ve siècle hors des
murailles théodosiennes, tire son nom de sa position
originelle dans les champs (chôra) qui séparaient alors
Constantinople de la campagne.

Le bâtiment actuel, reconstruit
au XIe siècle par Marie Doukaina, belle-mère
d'Alexis Ier Comnène, conserve dans son plan en croix grecque
inscrite les traces de multiples remaniements.

Son importance croît sous les
Paléologues, lorsque le logothète du trésor
Théodore Métochite finance entre 1315 et 1321 le décor
de mosaïques et fresques qui constitue aujourd'hui
son principal intérêt.

L'iconographie développée
dans le narthex et le parecclésion suit un programme
théologique complexe où se mêlent scènes
christologiques et cycles hagiographiques.

La mosaïque de la Déisis,
placée au-dessus de la porte menant à la nef,
montre un Christ psychostase d'une expressivité rare,
évaluant les âmes avec un regard à la fois sévère
et mélancolique.

Le parecclésion, conçu
comme chapelle funéraire, abrite une fresque de la
Résurrection où les personnages émergent d'un
fond bleu nuit avec une vitalité presque inquiétante.

Après la conquête ottomane,
l'édifice est converti en mosquée en 1511 par Atik
Ali Pacha, ce qui paradoxalement préserve les décors
chrétiens simplement recouverts de badigeon.

Les quatre minarets ajoutés
à cette époque furent démolis lors
du séisme de 1766, remplacés par un unique
minaret trapu qui rompt l'harmonie byzantine de l'ensemble.

La transformation en musée en
1945 permit la redécouverte progressive des fresques, dont
le nettoyage révéla des pigments d'une fraîcheur
exceptionnelle, notamment le lapis-lazuli utilisé pour le
manteau de la Vierge dans la scène de la Dormition.

Les restaurations successives ont
mis au jour des graffiti laissés par les ouvriers byzantins
- comptes rudimentaires et croquis obscènes - sur
les couches inférieures des enduits.

L'abside conserve des traces d'un
synthronon disparu, dont les gradins furent arasés
pour l'installation du mihrab.

Dans la coupole sud, une inscription
presque effacée commémore une réparation
effectuée en 1346 après un tremblement de terre, mentionnant
le nom d'un maçon arménien inconnu par ailleurs.

Les restaurations du XXe siècle,
menées d’abord par l’Institut byzantin américain
puis par des équipes turques, ont mis au jour des
détails insoupçonnés.

Sous les fresques du parecclésion,
les archéologues découvrirent des graffiti de pèlerins
médiévaux - prières en grec vulgaire, dessins
naïfs de navires - ainsi que des marques de tailleurs
de pierre en caractères arméniens.

Plus surprenant encore, l’analyse
des mortiers révéla des ajouts successifs
de pouzzolane, matériau volcanique importé d’Italie,
prouvant des échanges techniques inattendus entre Byzance
et les cités maritimes italiennes à l’époque
paléologue.

Dans la lumière oblique du matin,
lorsque les rayons traversent les fenêtres hautes de la nef,
on peut encore distinguer, sur le pavement usé, les
traces circulaires laissées par le trépied de l’iconostase
disparue - ultime témoignage d’un aménagement
liturgique dont aucun document ne conserve la mémoire.





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